Soutenir la motivation des élèves à travers des pratiques collaboratives et ludiques

Depuis plusieurs années,  la ludification (ou gamification en anglais) des apprentissages connaît un réel essor dans l'enseignement avec l'apparition de diverses pratiques (jeux sérieux, escape game, utilisation de badges...), toutes spécifiques mais qui ont pour objectif commun de favoriser l'engagement des élèves dans l'activité et de s'appuyer sur des mécanismes qui peuvent aider à le maintenir sur le long terme.

Le fait d'utiliser le jeu pour les apprentissages n'est pas une nouveauté en soi : les Romains par exemple utilisait le terme ludus pour désigner l'école dans laquelle les gladiateurs apprenaient l'art du combat et la manière d'en faire un spectacle distrayant prisé du public. Le sens a évolué aujourd'hui pour ne plus garder et désigner que le lien avec le jeu mais ces nouvelles pratiques utilisées par les enseignants le rapprochent de son étymologie originelle.

Le concept de ludification et ses éléments

Ludifier son enseignement, c'est utiliser les mécanismes et les éléments du jeu pour faire apprendre

Cette translation s'appuie sur une caractéristique propre à tous les jeux : à l'inverse des apprentissages qui peuvent paraître rébarbatifs et peu engageants pour les élèves, le jeu est une activité dite autotélique, c'est à dire qu'il procure un sentiment d'intense satisfaction par sa seule réalisation et donc une récompense intrinsèque pour le joueur qui n'a pas besoin d'une motivation externe pour s'engager. En ludifiant notre enseignement, nous espérons donc que nos élèves vont y trouver la même satisfaction et s'engager pleinement et sans sentiment de fournir un effort.

Cette définition signifie donc qu'utiliser les mécanismes du jeu dans une situation d'apprentissage qui en est dépourvue à la base ne veut pas dire faire jouer ses élèves à un jeu de société par exemple. Il ne s'agit pas de proposer un jeu existant en espérant que les élèves apprennent quelque chose à l'occasion de la partie mais plutôt d'utiliser les rouages du jeu pour adapter certaines séquences pédagogiques en tenant compte de deux critères principaux et trois critères dérivés définis par Gilles Brougère (1) qui permettent d’interpréter une activité comme une activité de jeu :

  • le caractère de second degré de l'activité (quand je joue à un jeu, je sais que je fais semblant, que c'est "pour de faux") et sa conséquence associée : 
    • le jeu implique une absence ou une minimisation des conséquences réelles. Cette aspect peut assez vite devenir problématique en termes de dosage pour l'enseignant puisque les deux extrêmes (des conséquences fortes, des contraintes ou l'absence totale de conséquences) risquent de limiter l'investissement des élèves. En revanche, c'est aussi l'un des aspects les plus intéressants au niveau cognitif puisque il autorise l'erreur qui est la condition des apprentissages (2) et permet ainsi à l'élève de se tromper en ne risquant rien de plus que de devoir réessayer.
  • le rôle de la libre décision : de jouer, de continuer à jouer, de faire ou tel choix... et ses deux corollaires :
    • l'existence de modalités de décisions qui se situent entre la contrainte (absence de choix) et le "tout est possible" : les règles par exemple.
    • l'incertitude, l'impossibilité de connaître l'issue de la partie avant sa fin.

Pour l'enseignant, le jeu offre aussi l'avantage de pouvoir être à la fois proposé à l'élève en tant qu'expérience individuelle et se limiter à cela, mais aussi, dans le cadre du groupe, de s'appuyer sur la culture commune autour du jeu pour permettre d'apprendre ensemble et de développer des habiletés collaboratives.

La ludification n'est pas forcément numérique mais l'utilisation des outils numériques permet de jouer aussi sur d'autres paramètres pour favoriser encore l'engagement, par exemple le côté plus attractif et stimulant de ces outils pour les élèves. Pour l'enseignant, cela autorise plus de possibilités et permet également de gagner du temps de préparation puisqu'il existe aujourd'hui des logiciels conçus à cette fin ou qu'il est possible de trouver sur internet des activités mutualisées qu'il ne reste qu'à adapter à ses objectifs pédagogiques. 

Les éléments sur lesquels jouer

Pour avoir à l'esprit tous les éléments sur lesquels il est possible de s'appuyer pour gamifier une activité, Yu-Kai Chou, un entrepreneur et consultant auprès d'entreprises et d'universités dans le domaine de la gamification propose un modèle d'analyse : l'octalysis, qui regroupe huit concepts à mettre en oeuvre et liste les éléments que chacun peut recouper.

Enfin, il est aussi possible de tenir compte du profil de joueur des élèves afin de répondre au mieux à leurs besoins. Richard Bartle a proposé un modèle de classification en 1996 qui est basée sur le comportement adopté par le joueur dans le jeu, sa manière de jouer. La connaître permet de lui proposer une expérience de jeu la plus adaptée à son profil ou au contraire d'envisager des modalités qui correspondent au plus grand nombre d'utilisateurs. L'originalité de ce modèle est de ne pas classer les joueurs selon un seul profil mais de proposer une analyse sur 4 critères: le premier sur 100% et les trois autres ensemble, sur 100 % également. Un joueur peut donc avoir le profil suivant : 100% collectionneur, 50% combattant, 30% explorateur et 20% social.

  • le collectionneur veut terminer le jeu pour posséder tous les éléments (objets, trophées, avatar...), avoir fini tous les donjons, battu tous les boss dans tous les niveaux de difficulté... 
  • le combattant (killer chez Bartle) a pour objectif de battre tous les autres joueurs et d'occuper les premières places des différents classements.
  • le joueur social recherche la coopération (participation dans des clans, des guildes, connaissance des joueurs vedettes et de leurs faits de jeux...) et fuit l'expérience de jeu solo.
  • l'explorateur veut tout connaître (exploration de tous les recoins de la carte...) et tout avoir expérimenté sur le jeu. Il s'intéresse à toutes les histoires de tous les personnages et maîtrise entièrement le scénario du jeu.

(Image créée par Laëtitia Lormier pour Lifecraft).

L'utilisation par l'enseignant de ces différents profils est détaillée de manière remarquable sur le site de SVT de l'académie de Créteil .

Dans notre académie nous pouvons mentionner le résultat d'un projet Heures numériques de 2016-2017 en Physique Chimie qui propose de travailler les compétences disciplinaires à partir d'un livret de badge, ce qui correspond tout à fait au profil du collectionneur selon la classification de Bartle.

Intérêts et apports pour les apprentissages

Si la ludification des pratiques pédagogiques permet de favoriser les apprentissages, c'est parce qu'elle utilise les mécanismes du jeu pour développer chez l'élève la motivation autonome qui permet son engagement dans la durée (aspect autotélique du jeu) et conforter les trois besoins fondamentaux définis par la théorie de l'autodétermination :

  • le besoin de compétence en permettant à chacun d'avancer à son rythme, en proposant des parcours, des niveaux et des expériences de jeu individualisées qui se situent dans la zone proximale de développement de l'élève et en fournissant des feed-back réguliers associés par exemple à la montée en niveau ou l'acquisition de badges numériques ;
  • le besoin d'autonomie en permettant à l'élève de faire ses propres choix tout au long de la partie et d'en assumer les conséquences, de se tromper et de choisir de recommencer sans être pénalisé ;
  • le besoin d'appartenance sociale en favorisant l'entraide, la cohésion d'équipe, la collaboration et la confrontation d'idées lors de parties en groupe ou en face à face par exemple.

M. Romero et E. Sanchez ont proposé une analyse  pour, en partant d'une intention pédagogique, intégrer différentes composantes afin de proposer une expérience ludique d'apprentissage à l'élève. Ils soulignent l'importance de la conception du scénario pédagogique dans lequel les objectifs d'apprentissages doivent être clairs et également de la mise en place après le jeu, d'une période de réflexion sur l'action menée dans le jeu afin de rendre les savoirs visibles et transférables.

Ces éléments ont été développés lors de la conférence d'ouverture de M. Romero et E. Sanchez, "Les ludomythes : 10 idées fausses sur le jeu et l'apprentissage" pour le Rendez-vous Francophone des Écoles Françaises en Réseau, 2019.

Pour aller plus loin :
Références :

(1) : Gilles Brougère, Le jeu peut-il être sérieux ? Revisiter Jouer/Apprendre en temps de serious game. https://experice.univ-paris13.fr/wp-content/uploads/2015/02/Le_jeu_peut-il_tre_srieux__.pdf

(2) : Stanislas Dehaene dans un article du journal "Le temps".